CRITIQUE / AVIS FILM - "Miss" de Ruben Alves est un conte de fée moderne et une joyeuse ode à la tolérance, qui donne à voir le parcours improbable mais attachant d’un jeune homme qui rêve de devenir Miss France.
Miss, un rôle écrit pour l'acteur principal
Certaines personnalités charismatiques au destin peu ordinaire dans la vraie vie, même si elles ne sont pas comédiennes, sont une source puissante d’inspiration pour les réalisateurs. Ainsi Rebecca Zlotowski, après sa rencontre sur Instagram avec Zahia Dehar, lui a écrit le rôle de Sofia dans Une fille facile. De même, Ruben Alves avait en tête un personnage transgenre lorsqu’il a rencontré Alexandre Wetter. Le réalisateur a finalement affiné son projet et s’est inspiré du jeune homme androgyne- qui a été lui-même au bout de son rêvepuisqu'il a défilé en femme pour Jean-Paul Gauthier - pour lui offrir le beau rôle d’Alex dans Miss.
Pour autant, Ruben Alves a créé un caractère bien différent de celui du comédien « plus solaire, positif et plus entouré par sa famille que son personnage, mais avec la même force, décomplexion et liberté de vivre son féminin et sa part de féminité comme il l’entend et d’assumer pleinement qui il est ».La seule phrase qu’il s’est autorisé à lui piquer pour un dialogue est « il se sent plus fort en femme ». On conseille donc au spectateur de faire preuve d’ouverture d’esprit et de laisser tomber ses préjugés, sans penser qu’il a déjà vu ce type de film à l’écran.
Car dans Miss, le récit ne porte pas sur un homme qui se transforme en femme parce qu’il en éprouve le besoin vital (comme The Danish Girl) ou parce qu’il veut trouver un travail (comme Tootsie). Ce n’est d’ailleurs pas de genre dont il est question dans Miss, mais bien de quête d’identité et de trouver sa place au monde. Pour Alexandre Wetter, «le sujet de Miss, c’est justement de ne pas avoir de code et de ne pas s’enfermer dans une case ou dans un genre», précisant que «l’androgynie est juste un aspect physique, qui n’a aucune incidence sur sa vie, son idée du genre ou sa sexualité». Et de sexualité on ne parlera pas, car pour le réalisateur, il s’agit avant tout de donner à voir «lepropos universel du parcours émotionnel d’une personne en mal d’amour qui se cherche et qui poursuit un rêve».
La part de féminité de chaque homme
On encourage donc les spectateurs nostalgiques de leurs rêves d’enfance, assouvis ou non, à venir voir la jolie surprise qu’est Miss, et à donner à nouveau vie à un enthousiasme mis de côté par les responsabilités et la vie d’adulte. Car le rêve fou du petit garçon gracieux de 9 ans, c’était de devenir Miss France, provoquant les moqueries de ses petits camarades. Après une ellipse de 15 ans, on retrouve Alex errant comme une âme en peine entre son logement, qu’il a du mal à payer, et le club de boxe dans lequel il travaille comme animateur et se fait malmener. On apprendra plus tard les tristes raisons pour lesquelles il a été contraint de ranger son rêve au plus profond de lui-même.
Mais revoir Elias (Quentin Faure), son pote de l’école primaire devenu champion de boxe, reconnecte inévitablement Alex à cette période de sa vie heureuse et insouciante et à cette petite lumière intérieure de l’enfance. Et déclenche à nouveau son envie d’assouvir son rêve de devenir Miss France, coûte que coûte.Miss embarque donc le spectateur dans cette aventure originale et touchante. On prend beaucoup de plaisir à voir Alex-Alexandra travailler son mental et son physique pour gravir chaque échelon jusqu’au sommet de l’élection, avec l’aide d’Elias mais aussi celle des autres habitants de son immeuble.
L’une des jolies trouvailles du film, c’est de montrer l’implication de chaque membre de cette petite bande de bras cassés, de cas sociaux et d’immigrés, devenus une famille. Même la logeuse Yolande (Isabelle Nanty), qui telle une mère de substitution inquiète, se montre un peu réticente face à l’image de la femme renvoyée par le concours de Miss France. Ou Randy (Moussa Mansaly) et Ahmed (Hedi Bouchenafa) qui créent le compte Instagram d'Alexandra, offrant ainsi au spectateur la possibilité de réfléchir aux risques de l'utilisation de la notoriété fabriquée.Ce qui est galvanisant dans Miss et qui transparaît réellement à l’écran, c’est que le réalisateur se comporte comme son entourage avec Alex : il ne juge pas, ne ridiculise pas, mais fait ressortir le meilleur de chacunavec bienveillance.
Le film propose d'ailleurs un regard émouvant sur le sens de l'amitié et l'humiliation brutale qui peut naître dès lors que l'on oublie précisément ceux qui ont permis d'atteindre le sommet. Le réalisateur parvient à rendre ses personnages authentiques et très attachants dans leurs doutes, leurs failles et la naissance de leur force commune. C’est peut-être parce qu’il s’est inspiré, là encore, de son propre entourage. On note ainsi le personnage haut en couleur de Lola, magistralement interprété par Thibault de Montalembert, attachant(e) dans ses tenues de prostituée du Bois de Boulogne, comme dans ses postures et les nuances de sa voix. Et on croise également Amanda Lear, en marraine pleine de panache et donneuse de conseils, notamment à propos de l'art du tucking, à la hauteur de sa réputation dans la vie.
Et la composition de Pascale Arbillot en patronne du comité Miss France qui voit à quel point Alex-Alexandra sort indéniablement du lot, vaut également son pesant d’or. Tout comme celle de Stéfi Celma en peste concurrente. Mais la véritable révélation du film c'est Alexandre Wetter. Miss s’avère donc un véritable petit bijou d’humanité à destination d’un public de tout âge qui fait autant réfléchir aux rêves d’enfance, qu’à la liberté d’être soi et à la représentation de la femme dans la société d’aujourd’hui.
Missde Ruben Alves, en salle le 21 octobre 2020. Ci-dessus la bande-annonce.Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.